4.36 Ron Rash

 

Ron Rash, né à Chester en Caroline du Sud en , est un écrivain, poète et nouvelliste américain, auteur de roman policier. Il remporte le Grand prix de littérature policière en 2014 avec le roman Une terre d'ombre (The Cove).

 

  • One Foot in Eden (2002) : Un pied au paradis (Éd du Masque - 2009 (Livre de poche - 2011)
  • Saints at the River (2004) : Le Chant de la Tamassee (Seuil - 2016) 
  • The World Made Straight (2006) : Le Monde à l'endroit (Seuil - 2012)  (Points - 2013)
  • Serena (2008) : Serena (Éd du Masque - 2011) (Livre de poche - 2012)
  • The Cove (2012) : Une terre d'ombre (Éditions du Seuil - 2014)

 

 

 

 

Titre : Le Chant de la Tamassee


Auteur : Ron Rash
Édition : Seuil (2016)

Résumé :

Ruth Kowalsky, 12 ans, se noie dans la Tamassee, rivière de Caroline du Sud, alors que ses parents pique-niquent tranquillement à quelques mètres de là.

 

Le courant étant trop fort à cet endroit, les plongeurs ne parviennent pas à dégager son corps, coincé sous un rocher à proximité d'une chute.

 

Le père de la victime, un banquier qui a des relations, obtient l'installation un barrage amovible pour détourner le cours de l'eau vers la rive droite, contre l'avis des gens du cru qui connaissent le danger encouru.

 

Une guerre s'engage alors avec les écologistes locaux, qui se targuent du Wild and Scenic Rivers Act, loi fédérale interdisant à quiconque de perturber l'état naturel d'une rivière qui a obtenu le label" sauvage".

 

Très vite, le fait-divers prend une dimension nationale, le cirque médiatique se déchaîne de répugnante manière et des enjeux plus importants que la digne sépulture d'une enfant se profilent : pouvoir local, chantage politique, intérêts financiers.

 

Une jeune photographe de presse, Maggie, native du comté où se joue le drame, est chargée de couvrir les événements.

 

Consciente que l'opinion publique soutient les parents, elle penche affectivement du côté des protecteurs de la nature : comme elle, plus d'un lecteur hésitera entre les deux camps.

 

Critique : 

Munie de mon billet d'avion, je me suis envolée avec Air Ron Rash pour un voyage dont je me doutais que j'en reviendrais conquise et charmée mais aussi éprouvée par la profondeur des textes et des personnages.

 

Direction le comté d'Oconee, en Caroline du Sud, là où coule une rivière, frontière naturelle entre la Caroline du Sud et la Géorgie.

 

Vous mettez un orteil dans l'eau en Caroline du Sud et quelques mètres plus loin, vous êtes en Géorgie ! C'est amusant et la petite Ruth Kowalsky n'en pensait pas moins lorsqu'elle voulu aller se mettre à cheval sur la frontière.

 

En franchissant la Tamasse, c'est le Styx qui l'attendait dans un trou bien traitre de cette rivière tumultueuse et bardaf, ce fut l'embardée, ou plutôt, la noyade pendant que papa et maman avaient le dos tourné.

 

La rivière, cette garce qui n'en fait qu'à sa tête, elle qui bénéficie de la protection du Wild and Scenic Rivers Act (loi fédérale interdisant à quiconque de perturber l'état naturel d'une rivière qui a obtenu le label" sauvage"), décide de ne pas laisser remonter le corps de la gamine et la garde bien coincée sous un rocher.

 

C'est là que les Romains s'empoignèrent...

 

Ron Rash nous emmène une fois de plus dans une petite ville peuplée d'habitants que certains qualifieraient de "culs terreux", notamment le père de la gamine noyée qui pour le moment se heurte de plein fouet à des écolos gauchistes qui refusent d'entendre parler de l'érection d'un barrage provisoire (quelques heures durant) sur leur rivière sauvage.

 

De ce qui ne pourrait être qu'un banal fait divers, l'auteur s'applique à nous décrire une région sauvage au travers de ses habitants et du regard que portent les autres sur ces gens qui ne vivent pas vraiment comme eux.

 

Un dilemme cruel se joue sous nos yeux : la sauvegarde d'une rivière, l'envie de ne pas créer un précédent en accordant le droit de monter un barrage amovible et celle d'accorder à des parents éplorés le droit de récupérer le corps de leur fillette pour l'enterre dignement.

 

Brennon semblait abasourdi. « Êtes-vous en train de me dire que vous ne voudriez pas que je construise ce barrage s’il s’agissait de votre fille ? » a-t-il demandé.

Luke a rendu les photocopies à sa voisine. Il a ôté ses lunettes et les a remises dans la poche de sa chemise. « Je n’ai pas de fille, a-t-il dit, d’une voix qui n’était plus belliqueuse mais presque tendre. Pourtant, si j’en avais une, qu’elle était morte et que je savais que rien ne lui rendrait la vie, je ne vois pas de meilleur endroit que la Tamassee où je voudrais que son corps repose. Je voudrais qu’elle soit là où elle ferait partie de quelque chose de pur, de bon, d’immuable, ce qui nous reste de plus proche du paradis. Dites-moi où, sur cette planète, il y a un endroit plus beau et plus serein. Indiquez-moi un lieu plus sacré, monsieur Brennon, parce que je n’en connais pas. »

 

Deux journalistes pour couvrir les débats dans cette petite ville : Maggie Glenn, native du comté et Allen Hemphill, finaliste à un prix Pulitzer, vont être, eux aussi, les acteurs de ce drame qui se joue à guichet fermés.

 

Sans juger l'un ou l'autre point de vue, l'auteur nous décrit les événements qui vont découler de tout ceci.

 

De sa plume toujours aussi enchanteresse, il déroule son récit tout en faisant bouger ses personnages sur un grand échiquier, nous confrontant à leurs soucis, leur vie, leurs emmerdes et leurs rancœurs, telle Maggie envers son père.

 

Nous n'avions rien ajouté. Tout ce avec quoi nous pouvions nous blesser, nous l'avions dit. Nous étions donc restés plantés là en silence, papa et moi, comme des boxeurs qui ont asséné meurs meilleurs coups et constatent que leur adversaire est toujours debout.

 

L'Enfer est toujours pavé de bonnes intentions et ce sera au lecteur d'établir son propre jugement, s'il le désire.

 

Qui est responsable de tout ce merdier ? Les parents qui ont eu deux secondes d’inattention ? Eux aussi parce qu'ils veulent absolument récupérer le corps de la gamine après 5 semaines d'immersion dans l'eau ?

 

Le concepteur du barrage qui a pris tout le monde de haut, pensant qu'ils n'étaient que des culs-terreux ? La rivière qui ne se laisse pas dompter ? Ou bien tout le monde est coupable à différentes échelles, donnant tout ce gâchis ?

 

Un roman fort, une fois de plus, des personnages bien décrits, en peu de mots, attachants et exaspérants parfois.

 

Lire Ron Rash, c'est entrer de plein fouet dans une région, dans la vie des habitants, dans leur intimité et assister, impuissant, aux déroulements des choses. C'est toujours puissant.

 

Un récit qui m'a envouté mais avec moins d'émotions que celles ressenties durant la lecture de "Une terre d'ombre".

 

Le "Challenge US" chez Noctembule et Le "RAT a Week, Winter Édition" chez Chroniques Littéraires (231 pages - xxx pages lues sur le Challenge).

 

 

 

Titre : Une terre d'ombre
 
Auteur : Ron Rash
Édition : du Seuil (2014)

Résumé :

Laurel Shelton est vouée à une vie isolée avec son frère — revenu de la Première Guerre mondiale amputé d’une main —, dans la ferme héritée de leurs parents, au fond d’un vallon encaissé que les habitants de la ville considèrent comme maudit : rien n’y pousse et les malheurs s’y accumulent.

 

Marquée par ce lieu, et par une tache de naissance qui oblitère sa beauté, la jeune femme est considérée par tous comme rien moins qu’une sorcière.

 

Sa vie bascule lorsqu’elle rencontre au bord de la rivière un mystérieux inconnu, muet, qui joue divinement d’une flûte en argent.

 

L’action va inexorablement glisser de l’émerveillement de la rencontre au drame, imputable exclusivement à l’ignorance et à la peur d’une population nourrie de préjugés et ébranlée par les échos de la guerre.

La splendeur de la nature, le silence et la musique apportent un contrepoint sensible à l’intolérance, à la xénophobie et à un patriotisme buté qui tourne à la violence aveugle.

Petit plus : Après "Le Monde à l’endroit" (Seuil, 2012), "Une terre d’ombre" prolonge une réflexion engagée par l’auteur sur la folie guerrière des hommes, tout en développant pour la première fois dans son œuvre romanesque une histoire d’amour tragique qui donne à ce récit poignant sa dimension universelle.
 

Critique : 

Il est des livres que l'on dévore, voulant à tout prix découvrir l'entièreté de l'histoire, respirant à peine... tout en se disant que lorsqu'il sera terminé, on en sera peinée.

 

Ce fut le cas ici. Dévoré en un jour, incapable de le lâcher, mais triste de l'avoir terminé, triste de quitter certains personnages tout en ayant envie d'en passer d'autre à la broche à rôti.

 

États-Unis, 1918. Sur le Vieux Continent, celle que l'on nomme déjà la Der des Der bat toujours son plein, remplissant les fosses communes, dressant les hommes l'un contre l'autre, éveillant des haines contre l'ennemi : le boche, le casque à pointe, le teuton...

 

Laurel Shelton et son frère Hank vivent dans une petite ferme isolée au fond d'un vallon tellement encaissé que le soleil ne luit que quelques heures en été. Rien ne pousse, ou si peu. Pour eux, la vie n'est pas facile, surtout que Hank a laissé une main dans les tranchées en France.

 

Pour les habitants de Mars Hill, cette terre est maudite et ceux qui y vivent aussi. Surtout que Laurel porte une tache de naissance un peu disgracieuse et que tous la croient sorcière et se signent presque à son passage. Bref, le frère et la soeur sont des bannis, des exclus, des parias et on verse du sel à l'entrée de leur domaine.

 

Bienvenue à "Préjugés Hill" où les habitants de la ville ont des esprits aussi étroits que le chas d'une aiguille et la plupart sont rempli d'amertume.

 

Entre le sergent recruteur qui se fait regarder de travers parce qu'il n'est pas allé casser du boche, ceux qui se gaussent de lui mais n'ont pas eu les couilles de traverser l'océan pour mater les casques à pointes, ceux qui en sont revenus et déclarent que ce n'est qu'une vaste boucherie pour gagner quelques arpents de boues et cette haine de l'Allemand qui tout doucement s'installe.

 

La vie misérable de Laurel avait l'air toute tracée jusqu'à ce qu'elle croise Walter, un jeune homme mal en point, muet et jouant de la flûte comme un dieu. Entre eux va se développer quelques chose de fort, de beau...

 

Ami du trépidant, va t'amuser dans un thriller ou revisionne l'intégrale de "24h chrono" parce que ici, l'action est peu présente, mais ce n'est pas ce que l'on cherche dans un roman de Ron Rash.

 

Nous sommes face à un récit râpeux comme un vieux vin, long en bouche et avec des senteurs douces et sucrées de miel. Oui, dans toute cette misère, l'auteur nous construit une histoire d'amour qui ne tournera pas à la guimauve, évitant la mièvrerie et émerveillant son lecteur.

 

Amis du tragique, bonjour. N'étant pas dans un Harlequin, vous vous doutez que la tragédie nous guette.

 

L'imbécilité de l'homme qui craint ce qu'il ne connait pas, qui a besoin d'un bouc émissaire pour expurger ses propres fautes, qui veut jouer au dur parce qu'il veut montrer qu'il en a dans le froc et se faire un boche, puisqu'il n'est pas allé le faire sur le front en Europe.

 

Vous me direz que nous sommes un siècle plus tôt, dans un coin des Appalaches en Caroline-du-Sud, qu'il est donc normal d'avoir l'esprit plus étroit que le cul d'une pucelle qui subirait les assauts d'un troll... (étroit pour le troll, bien entendu !)

 

Oui, mais le problème est que l'être humain traine cette tare depuis la nuit des temps et que si un conflit revenait sur notre continent, beaucoup se comporteraient comme les habitants bêtes et méchants de Mars "Préjugés" Hill.

 

On traquerait l'ennemi, se moquant bien qu'il soit vieux et inofensif puisqu'il est moins dangereux de s'attaquer à lui qu'à un bataillon de militaires armés ! Oui, l'homme est un peu couard...

 

Un roman tout en finesse, sans mièvrerie, une écriture qui claque comme un coup de fusil dans la nuit et une manière de dénoncer les dommages collatéraux d'une guerre qui se déroule pourtant de l'autre côté de l'océan, sur l'accueil haineux des étrangers sur le sol du pays, sur la folie des hommes et les superstitions bêtes (qui survivent toujours en 2014 !).

 

Un roman aussi sombre que le vallon qu'il décrit, aussi dur et sans pitié que lui mais traversé aussi par des rayons de soleil avant que l'obscurité ne reprenne ses droits.

 

La nuit est tombée sur le vallon et on referme le livre avec une étrange sensation dans la gorge, comme si un noeud s'y était installé.

 

Merci Laurel, Hank, Walter et Slidell...

 

Challenge "Thrillers et polars" de Liliba (2014-2015),Challenge "Polar Historique" de Sharon, Le "Challenge US" chez Noctembule, "Challenge Ma PAL fond au soleil - 2ème édition" chez Métaphore, "Il était une fois dans l'Ouest" chez The Cannibal Lecteur et "Ma Pedigree PAL - La PAL d'excellence" chez The Cannibal Lecteur.

 

 

 

 

Titre : Un pied au paradis
 
Auteur : Ron Rash
Édition : Le Masque (2009) / Livre de Poche (2014)

Résumé :

Oconee, comté rural des Appalaches du Sud, années 50.


Une terre jadis arrachée aux Indiens Cherokee et qui bientôt sera définitivement enlevée à ses habitants : la compagnie d’électricité Carolina Power rachète peu à peu tous les terrains de la vallée pour construire une retenue d’eau, un immense lac qui va recouvrir les fermes et les champs.


Ironie du sort: une sécheresse terrible règne cet été-là, maïs et tabac grillent sur pied dans les champs arides.


Le shérif Will Alexander est le seul à avoir fréquenté l’université, mais à quoi bon, quand il s’agit de retrouver un corps astucieusement dissimulé ?


Car Holland Winchester a disparu. Il est mort, sa mère en est sûre, qui a entendu le coup de feu chez leur voisin. L’évidence et la conviction n’y font rien: pas de cadavre, pas de meurtre.


Sur fond de pays voué à la disparition, une histoire de jalousie et de vengeance, très noire et intense, sous forme d’un récit à cinq voix: le shérif, le voisin, la voisine, le fils et l’adjoint.


Critique : 

Un pied au paradis ou un pied en enfer ? Telle est la question....

 

"Paradis" si l'on considère ce petit coin perdu des Appalaches vis-à-vis de sa tranquillité.

 

Mais "Enfer" en sachant que cette terre ne vous donne rien ou si peu, qu'une sécheresse règne à tel point que les cultures grillent sur pied, que les gens sont aussi arides que la terre sous le soleil de Satan, le caractère toujours prompt aux ragots, aux jugements.

 

Comble de tout ça, l'Enfer sera un jour noyé sous des tonnes de litres d'eau, la compagnie d’électricité " Carolina Power" rachetant peu à peu tous les terrains de la vallée pour construire un immense lac qui va recouvrir les fermes et les champs.

 

Un paradis qui va devenir un enfer pour certains, un enfer qui sera un paradis pour d'autres, et pour moi, c'était "le pied" tout court, la lecture.

 

Que s'est-il passé ? Et bien, Holland a disparu ! Si, je vous jure... Sa maman est persuadée qu'il est mort, ayant entendu un coup de feu chez ses plus proches voisins, Billy Holcombe.

 

Le shérif mène l'enquête, apprenant aussi au passage que le dénommé Holland aurait p'têt ben trempé son biscuit dans la tasse de café de l'épouse du voisin ! Et pas qu'une fois, si vous voyez ce que je veux dire.

 

Je vous arrête de suite, je parle, bien entendu, de Holland Winchester et pas d'un autre. Entre nous, avec un nom et un prénom pareil, je me serais suicidée, moi ! Holland Winchester, ça claque comme un coup de fusil.

 

La particularité de ce roman, en plus de la plume aiguisée de l'auteur, c'est qu'il ne se contente pas d'être un simple roman policier.

 

Non, il va plus loin dans la psychologie des personnages et des événements qui iront de l'imbécilité de la guerre aux superstitions les plus bêtes, en passant par la jalousie, le désir de maternité, le reniement de parole d'une université...

 

C'est vous dire si on va ratisser large - sans tomber dans l'ennui - variant et mixant le tout pour donner un cocktail détonnant et rafraichissant, avec une pointe d'émotion pour assaisonner le tout et une grosse paille d'inventivité pour aspirer le tout.

 

Roman à cinq voix, l'auteur vous propose l'histoire racontée sous différent points de vue, donnant ainsi au lecteur la possibilité de biberonner les mystères de cette vallée au compte-gouttes et au travers le récit de différents personnages, changeant même d'époque avec le récit d'Isaac.

 

La force du récit est dans ces personnages qui vous racontent l'histoire, personnages que l'on suit dans leurs pensées, leurs emmerdes, leur passé. Le tout avec un langage digne des Redneck.

 

Par contre, j'aurais bien aimé en apprendre un peu plus sur ce qui avait coupé le shérif de son frère.

 

Une histoire très noire, un roman intense, sombre, brossant le portrait peu brillant d'une Amérique des années 50, mais possédant des personnages hors du commun.

 

Rien à dire, cet auteur m'emmène dans des abîmes bien plus abyssaux que le lac le plus profond. J'adore !

 

Challenge "Thrillers et polars" de Liliba (2014-2015), le Challenge "Polar Historique" de Sharon, Lire "À Tous Prix" chez Asphodèle (Prix des Lecteurs Sélection 2011), "Ma Pedigree PAL - La PAL d'excellence"chez The Cannibal Lecteur et le Challenge "Le Mois Américain" chez Titine.

 

 

 

 

Titre : Serena
 
Auteur : Ron Rash
Édition : Livre de Poche

Résumé :

Situé dans les Smoky Mountains de Caroline du Nord, Serena allie, selon l’auteur, "drame élisabéthain, problèmes environnementaux et richesse de la langue".

L’héroïne, sorte de Lady Macbeth des années 1930, est l’épouse de George Pemberton, riche et puissant exploitant forestier. Ces deux-là sont des prédateurs, prêts à tout pour faire fructifier leur entreprise dont l’objectif est de couper tous les arbres à portée de leur main.

Une ambition que vient menacer le projet d’aménagement d’un parc national, pour lequel l’État convoite leurs terres. Pemberton met sa fortune à contribution pour soudoyer tous les banquiers et politiciens qu’il faut, et Serena n’hésite pas à manier fusil et couteau pour éliminer les obstacles humains. 

Belle, ambitieuse et intrépide, Serena fascine son mari et ses employés, pour lesquels elle n’éprouve aucune compassion. Et pourtant chaque jour apporte son lot de blessés, voire de morts, tant le métier de bûcheron est dangereux en soi et la nature alentour hostile, quoique magnifique.

Le roman prend des allures de thriller lorsqu’elle poursuit de sa haine implacable le fils naturel que Pemberton a engendré avant son mariage et qu’il semble vouloir protéger. Sa fureur vengeresse ira très loin…

Critique : 

♫ Se-re-naaa, ton univers impi-toy-aaaa-ble ♪... Oui, Serena est pire que le très célèbre J.R ! Plantons le décor : nous sommes en plein coeur des Appalaches, en Caroline du Nord, peu après la grande dépression de 1929, au milieu d’une exploitation forestière. Presque «sur» exploitation parce qu'après leur passage, il ne restera plus un arbre debout, hormis les croix du cimetière.

 

Lorsque le noyer d’Amérique de trente pieds succomba à la scie va-et-vient de Ross et Henryson, la vallée et les crêtes ressemblaient à la chair écorchée d’un gigantesque animal.

 

L’exploitation appartient à la société de monsieur Pemberton qui la gère avec deux associés. Tiens, d’ailleurs le voici, Pemberton, avec son épouse. Son épouse ? Oui, messieurs les ouvriers, votre boss vient de se marier lors de son séjour à Boston et, croyez-moi, vaudrait mieux pas chercher des crosses à sa femme.

Non, pas en raison de la haute stature de votre patron... Juste en raison du caractère intraitable de sa femme ! Un ouvrier en fera les frais : non seulement il perdra son pari contre elle (2 semaines de travail sans salaire), mais en plus, madame le fera renvoyer ensuite, pour en faire un exemple.

Serena, c'est le genre de femme qu’on n’a pas envie de croiser sur son chemin, surtout si on à l’intention de lui mettre des bâtons dans les roues. Elle ne se laisse pas faire et elle a de la répartie... Sa langue est comme un fouet, elle claque. Ou comme la langue d'un serpent qui siffle avant de mordre.

 

- De par sa nature même, le beau sexe ne possède pas les qualités analytiques du sexe fort, mais dans ce cas précis, vous êtes parvenue, je ne sais comment, à pallier cette faiblesse.
- Mon mari m'a dit que vous étiez originaire de ces montagnes, d'un lieu qu'on appelle Wild Hog Gap, dit-elle à Cheney. Nul doute que votre opinion du sexe féminin a été formée en observant les souillons auprès desquels vous avez grandi, mais je puis vous assurer que les natures féminines sont plus variées que ne veut bien le reconnaître votre expérience limitée.

 

En comparaison, les autres femmes du roman font pâle figure, hormis la petite Rachel, 17 ans - qui s’était faite monter par monsieur Pemberton avant qu’il ne parte à Boston et revienne marié et qui est grosse de ses oeuvres... La pauvre gamine perdra son père lorsqu'il défia Pemberton au poignard.

 

Lorsque Pemberton regagna les montagnes de Caroline du Nord, [...], parmi les personnes qui attendaient son train, sur le quai de la gare, se trouvait une jeune femme enceinte de ses œuvres. Elle avait auprès d’elle son père qui, sous sa redingote défraîchie, était armé d’un couteau de chasse affûté le matin même avec beaucoup de soin, de façon à pouvoir l’enfoncer aussi loin que possible dans le cœur de l’arrivant.

 

Elle a du courage, cette brave Rachel, mais elle aura intérêt à raser les murs parce que Serena l’a mauvaise à cause du fait qu’elle ne saura pas donner un enfant à son mari. Heu, tout compte fait, Rachel ferait mieux de fuir !

 

Serena... On ne sait pas si elle crève d'ambition ou si elle a soif d'une revanche sur la vie. Notre dame a les cheveux courts, porte des pantalons, monte à cheval comme les hommes et parcourt, sur son cheval arabe blanc, son fief boisé, au cœur des Smoky Mountains, un aigle perché sur le bras droit.

 

Serena... Plus diabolique que romantique. À beaucoup, elle inspire la peur, le respect, le désir, la haine. Biffez la mention inutile.

 

Pemberton, elle l'a vu et elle l'a voulu, s'offrant à lui le premier soir. Ce qu'elle veut, elle l'obtient, par tout les moyens.

 

Que voilà un personnage anthipathique à 200%, la Serena. Surtout lorsqu’elle se met à régler tout ses problèmes à coups de cadavres, alors que son mari, lui, utilise sa fortune pour soudoyer les banquiers et politiciens, afin de tirer un maximum de ses terres avant de les laisser au futur Parc National. Totalement exsangue, bien entendu.

 

Ne vous y trompez pas : le mari a beau être fasciné par son épouse, ce sont tout les deux des prédateurs. Par contre, seule Serena a un coeur de pierre. Elle est bien plus dangereuse que lui, aussi.

Au fil des pages, elle devient de plus en plus froide, implacable, meurtrière, calculatrice, éliminant tout ceux qui sont dans son chemin, comme on abat un arbre. Aussi froide et impitoyable que les hivers rigoureux et mortels des Smoky Mountains. Aussi sèche que le sable des déserts brûlants.

Mais Serena ne tue pas elle-même... Non, tout comme elle utilise un aigle pour chasser les serpents, elle a un homme de main. Ses mains restent propres.

Roman noir, sur fond de misère sociale, de chômage et de crève-la-faim qui sont prêt à tout pour avoir un travail, même dans le milieu des bûcherons où on ne fait pas de vieux os. Ici, l’écologie est considérée comme un gros mot.

 

Quant aux droits des travailleurs... Les droits de qui ? Ce sont des escclaves, rien de moins. Un meurt ? Ils sont des dizaines à vouloir sa place.


Ce que j'ai aimé, en plus du contexte social, c'est que le roman ne soit pas centré uniquement sur la vie du couple Pemberton. Il nous parle aussi des ouvriers, de leur travail, nous fait partager leurs pensées philosophique, le cimetière qui se remplit des leurs, des concessions nouvelles qu’il faut négocier, sur ce parc National que certains veulent faire là où se trouve l’exploitation forestière. Bref, pas un moment de répit. Un roman profond.

Une écriture simple, mais pas simpliste, limite venimeuse comme Serena. Un récit lent, mais pas ennuyant, grâce au récit de la vie des Pemberton entrecoupé des récits des bûcherons, de la vie de Rachel qui élève seule son fils, des négociations pour d’autres terrains, des manigances de Serena et des bons mots qui parsèment le récit.

 

- J'ai assez de gadoue collée au cul pour y faire pousser un picotin de maïs, déclara-t-il d'un ton lugubre.
- Et moi j'en ai assez rien que dans mes cheveux pour boucher toutes les fentes d'une cabane en rondins, renchérit Henryson.

 

Argent, corruption, pas de justice - hormis celle du plus fort (ou de celui qui tue le premier) - un shérif qui fait tout ce qu'il peut pour lutter contre la puissance des Pemberton. Ce shérif, il en a dans le caleçon. C'est le seul a ne pas baisser les yeux et son froc devant eux.

 

Un personnage que j'ai apprécié, avec la petite Rachel. Deux personnages auxquels on s'attache, on tremble pour eux, on souffre avec la jeune maman qui fait ce qu'elle peut pour élever son gamin, sachant très bien qu'elle ne doit rien attendre du père biologique.

Un roman fort sombre, aux personnages travaillés, torturés, dont les quelques bûcherons dont nous suivons le parcours et leurs réflexions sur la femme du patron, le monde,... 

 

Du venin dans les dialogues, dans les descriptions des hommes au travail et dans les paysages saccagés, sans parler du venin dans les pensées et les gestes de Serena et de ses sbires.

 

La fin m'a scié... Mais j'aurais dû m'en douter, avec Serena !

 

♫ Oh Serena, ton coeur est trop dur ♪

 

Livre particiapant au challenge "Thrillers et polars" de Liliba (2013-2014), Challenge "La littérature fait son cinéma - 3ème année" de Kabaret Kulture et  Le "Challenge US" chez Noctembule.

 

 

 

Titre : Le monde à l’endroit                                           

 

Auteur : Ron Rash
Édition : du Seuil (2012) / Points (2013)

 

Résumé :
Travis Shelton, 17 ans, découvre un champ de cannabis en allant pêcher la truite au pied de Divide Mountain, dans les Appalaches. C’est un jeu d’enfant d’embarquer quelques plants sur son pick-up.

 

Trois récoltes scélérates plus tard, Travis est surpris par le propriétaire, Toomey, qui lui sectionne le tendon d’Achille, histoire de lui donner une leçon.

 

Mais ce ne sera pas la seule de cet été-là : en conflit ouvert avec son père, cultivateur de tabac intransigeant, Travis trouve refuge dans le mobile home de Leonard, un prof déchu devenu dealer.

 

L’occasion pour lui de découvrir les lourds secrets qui pèsent sur la communauté de Shelton Laurel depuis un massacre perpétré pendant la guerre de Sécession.

 

Confronté aux ombres troubles du passé, Travis devra également affronter les épreuves du présent.

 

Le père, Toomey, Leonard, trois figures qui incarnent chacune une forme d’autorité masculine, vont tragiquement façonner son passage à l’âge d’homme.

 

Petit plus : Ce roman, le troisième de Ron Rash — après Un pied au paradis et Serena — à être traduit en français, confirme par son lyrisme âpre que cet écrivain est avant tout un poète, ardent défenseur de sa terre et de la mémoire de celle-ci.

 

« Aussi impitoyablement la force écrase, aussi impitoyablement elle enivre quiconque la possède, ou croit la posséder. De toute façon elle change l’homme en pierre… et une âme placée au contact de la force n’y échappe que par une espèce de miracle ». C’est une femme qui s’appelait Simone Weil, qui l’a écrit, à Paris, en 1940. Elle ne faisait pas de théorie. C’était un témoin.

 

Critique : 
Travis Shelton a 17 ans et au moment où il remonte la rivière, il ne sait pas encore que sa partie de pèche aura des répercussions sur le reste de sa vie… Il ne sait pas encore que ses actes, ses humeurs, son impulsivité, auront des conséquences graves plus tard.

 

Comme quoi, le battement d’aile d’une cuiller « Panther Martin » en argent au bout d’une canne à pèche peut déclencher un tsunami d’événements.

 

Il n’avait pas pêché depuis l’automne et ce serait agréable de sentir l’eau palpiter contre ses jambes, encore meilleur de sentir le moment où une truite mordait, cette secousse remontant de son poignet le long de son bras et jusqu’à son cerveau, comme si le courant n’était pas de l’eau mais de l’électricité. À cet instant-là, avant de pouvoir évaluer la charge qui courbait la canne ou le bourdonnement du frein, vous ignoriez si la truite n’était pas plus grande que votre main ou la plus grosse de votre vie.

 

Travis, tout comme la truite devant qui ont agite un leurre, s’est fait ferrer par un terrible leurre : des plants de cannabis ! Il est si simple d’en chiper quelques uns afin de les vendre et de payer son assurance voiture.

 

Bingo, tel une truite mouchetée, Travis va céder et mordre dans l’hameçon, prenant même le risque de revenir une deuxième et une troisième fois. Grave erreur ! Toomey, le proprio, n’est pas content du tout et le tendon d’Achille de Travis en subira les conséquences.

 

— Pour venir une deuxième fois, fallait du courage. Même si j’avais pigé que c’était toi j’aurais laissé couler, rien que pour la crânerie de ce que t’avais fait. Mais venir une troisième fois c’est carrément idiot et cupide. C’est pas comme si tu étais un petit merdeux. T’es assez vieux pour avoir un peu de bon sens.

 

Le problème de notre Travis, c’est qu’il souffre du manque de reconnaissance de son père, véritable handicapé des sentiments, incapable de féliciter ou de remercier son fils pour le travail abattu…

 

« Chaque fois que dans sa vie, il avait merdé, personne ne s’était proposé pour partager les reproches, mais maintenant qu’il avait fait quelque chose de bien, on se bousculait au portillon pour s’en attribuer le mérite ».

 

Vous avez sans doute dans votre entourage des gens qui au lieu de voir ce qui est bien fait, met le doigt sur le petit truc qui n’est pas fait ou pas bien fait.

 

Commencer à penser qu’on est trop bien pour avoir de la terre sous les ongles. C’était le genre de truc que son père dirait s’il entendait un discours pareil, trouvant à critiquer parce qu’il était impossible à satisfaire.

 

Le père de Travis est ainsi et il sera « le détonateur » de tout le reste. S’il avait prodigué un peu d’attention à son fils, ce dernier ne se serait pas enfui après son agression par les Toomey – père et fils – pour atterrir chez Leonard Shuler, le revendeur de drogue et d’alcool du coin.

 

Mes lectures avec Ron Rash sont toujours un découverte : sa plume continue de m’enchanter, ses histoires me font voyager, ses personnages sont toujours d’une grande profondeur et d’une complexité qui me fait les imaginer bien vivant.

 

Il y a du contraste dans ces personnages. Entre un Carlton Toomey, véritable montagne de muscles d’1,40m, monstre sans pitié qui possède une voix qui, quand il entonne un Gospel, fait chialer l’assistance et un ancien professeur qui, suite à une manipulation, s’est retrouvé accusé de dealer de l’herbe et qui, maintenant, le fait vraiment, le contraste est étonnant.

 

Pas de lac, mais malgré ça, on continue d’explorer les tréfonds de l’être humain, le tout sur fond de nature sauvage et de guerre de sécession.

 

Oui, les événements passés agissent encore sur ceux du présent.

 

Travis va devoir se prendre en main et on va le suivre durant sa remontée de la pente, cherchant toujours cette reconnaissance qui lui manque.

 

Un roman sombre, noir, même, avec tout juste une lueur d’espoir qu’il faudra protéger du vent afin de ne pas moucher la chandelle.

 

— J’ai pas peur de vous », dit-il.
Leonard laissa aller son regard plus bas et vers la droite, comme si quelqu’un était assis sur une chaise à côté de Travis. Quelqu’un qui ne prenait pas davantage au sérieux les paroles du gamin.
— Quand le monde se sera occupé de toi pendant quelques années, tu frimeras un peu moins, remarqua-t-il, sans plus sourire. Si tu es toujours vivant.

 

Ici, on se promène dans l’Amérique profonde, celle des gens un peu rustres qui doivent composer avec la nature qui n’est pas une tendre, par là, et une histoire de massacres durant une sale guerre civile.

 

« On pourrait croire qu’ils n’auraient pas fait un truc pareil à leurs voisins, remarqua-t-il. L’histoire en témoigne autrement. Bien souvent les gens font pire à ceux qu’ils connaissent qu’à des inconnus. Dans le cas de Staline et d’Hitler, c’est sûr ».

 

Un roman où s’entremêlent l’Histoire, le premier amour, l’amitié, les drogues, du mystère (les notes d’un médecin en 1850 à la fin de la guerre civile), les conneries d’un adolescent et toutes les conséquences qui peuvent en découler d’une manière stupide… Travis mérite parfois des baffes !

 

Ah, si tout le monde y avait mis un peu du sien, on n’en serait pas arrivé là ! Mais on serait passé à côté d’un grand roman qui m’a mis la tête à l’envers mais le coeur au bon endroit.

 

Il y a de la beauté en ce monde, leur avait-il dit, plus de beauté qu’aucun de nous ne peut le concevoir, et jamais nous ne devons l’oublier.

 

Pendant deux ou trois minutes, il fut incapable de répondre. Il s’était passé trop de choses ce soir-là, et rien ne tenait debout. Tout était déglingué, le monde n’était plus d’aplomb. C’était comme d’être sur un manège à la foire, tout, autour de lui, bruyant, aveuglant et tourbillonnant.

 

— Bêtise et ignorance, cela n’a rien à voir. On ne peut pas guérir quelqu’un de sa bêtise. Quelqu’un comme toi, qui est simplement ignorant, il se pourrait qu’il y ait de l’espoir.

 

Challenge « Le mois Américain » chez Titine, Challenge « Il était une fois dans l’Ouest » chez The Cannibal Lecteur et « Ma Pedigree PAL – La PAL d’excellence » chez The Cannibal Lecteur.


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