4.47 Romans Noirs Italiens et Espagnols
- Ce qui n’est pas écrit : Rafael Reig
- Tatouage : Manuel Vázquez Montalbán
- Toutes les vagues de l'océan : Victor del Arbol
Titre : Toutes les vagues de l'océan
Auteur : Victor del Arbol
Édition : Actes Sud (2015)
Résumé :
Gonzalo Gil reçoit un message qui bouleverse son existence : sa soeur, de qui il est sans nouvelles depuis de nombreuses années, a mis fin à ses jours dans des circonstances tragiques. Et la police la soupçonne d’avoir auparavant assassiné un mafieux russe pour venger la mort de son jeune fils.
Ce qui ne semble alors qu’ un sombre règlement de comptes ouvre une voie tortueuse sur les secrets de l’histoire familiale et de la figure mythique du père, nimbée de non-dits et de silences.
Cet homme idéaliste, parti servir la révolution dans la Russie stalinienne, a connu dans l’enfer de Nazino l’incarnation du mal absolu, avec l’implacable Igor, et de l’amour fou avec
l’incandescente Irina.
La violence des sentiments qui se font jour dans cette maudite “île aux cannibales” marque à jamais le destin des trois protagonistes et celui de leurs descendants.
Révolution communiste, guerre civile espagnole, Seconde Guerre mondiale, c’est toujours du côté de la résistance, de la probité, de l’abnégation que ce parangon de vertu, mort à la fleur de l’âge, a traversé le siècle dernier. Sur fond de pression immobilière et de mafia russe, l’enquête qui s’ouvre aujourd’hui à Barcelone rebat les cartes du passé.
La chance tant attendue, pour Gonzalo, d’ébranler la statue du commandeur, de connaître l’homme pour pouvoir enfin aimer le père.
Toutes les vagues de l’océan déferlent dans cette admirable fresque d’un xxe siècle dantesque porteur de toutes les utopies et de toutes les abjections humaines.
Critique :
♫ Je vais et je viens entre... ♪
Non pas "entre tes reins" bande de coquins, mais "entre différentes époques" !
C'est cette phrase qui vient de tourner dans ma tête au moment de prendre le clavier pour pondre une critique pas évidente sur un roman qui m'a boulversifiée (néologisme offert).
Putain de roman ! Putain de fresque historique qui, comme une toile d'araignée, est vaste, ramifiée, mais où tout ramène en un seul point : Elías Gil, figure mythique du père, nimbée de non-dits et de silences.
Par contre, il vous faudra attendre la fin pour découvrir la toile dans son entièreté et savoir ce qui s'est passé en juin 1967, jour de la disparition d'Elías Gil, ancienne figure importante du communisme.
Le roman n'est pas résumable, trop dense, sachez juste que vous allez voyager dans les époques troubles, voguant entre les années 30 et 2002.
Vous suivrez Elías Gil, jeune espagnol, et ses trois compagnons dans la Russie des années 30, vous serez torturé et déporté avec d'autres prisonniers, qui, comme vous, ne seront coupables que d'avoir été au mauvais endroit ou d'avoir critiqué le pouvoir.
Violez, tuez, tant que vous le faites avec patriotisme. Mais ne dites pas du mal du pouvoir ou de la mère à Staline...
Pourquoi étaient-ils tous ici ? À cause des mines d’uranium, des exploitations minières, de la folie de quelques bureaucrates qui avaient besoin d’une grosse quantité d’esclaves pour coloniser la Sibérie. Le prétexte qui l’avait enchaîné à cette terre était sans importance.
Le pouvoir communiste a besoin de main-d’œuvre pour creuser un grand canal ou pour coloniser la Sibérie. Allez hop, déporté, affamé, humilié, vous serez. Le passage sur l'île de Nazino, surnommée
ensuite "Cannibal Island" est un des plus terribles.
Ce qu'un humain est capable de faire pour survivre... Jusqu'à devenir comme celui que vous haïssez...
Parfois, il ne pouvait s’empêcher d’établir une comparaison avec Igor Stern et sa meute, et il pressentait qu’il était devenu tout ce qu’il haïssait.
Vous assisterez à l'arrivée de Franco au pouvoir en Espagne et vous ferez la guerre du côté des Russes, avant de revenir dans votre Espagne natale.
On voyage dans les époques, mais aussi dans les pays : Espagne, Russie, Sibérie et France.
Les personnages sont travaillés minutieusement : entre Gonzalo Gil, avocat et fils d'Elías, qui cherche à enquêter sur le suicide de sa sœur, son père, Elías, disparu quand le fils avait 5 ans,
et dont il n'a plus beaucoup de souvenirs, sinon ceux qu'on lui a fait.
L'homme est-il bien comme son fils l'a toujours cru ? Sa soeur n'avait-elle pas raison lorsqu'elle avait dressé de lui un portrait au vitriol, se faisant répudier par sa père en même
temps.
Le flic véreux, les truands, le pédophile, le salaud, la mafia russe... Tout ça s'imbrique avec un réalisme qui donne des sueurs froides. De plus, il est des silence tout aussi meurtriers, aussi
lâches, aussi violents que certains actes innommables. Surtout lorsqu'on ne veut pas voir la vérité.
On ne s'ennuie pas, on frissonne, on a peur, on tremble devant les pages sombres de l'Histoire (une de celles dont on parle trop peu) et on se rend compte que les plus salauds ne sont pas
toujours ceux désignés comme tels.
— Tu en appelais à l’éthique pour torturer et tuer, lui, il appelait cela simplement du pragmatisme. Il était convaincu de l’inévitable nature corrompue de l’être humain et toi tu cachais tout cela sous la répugnante théorie de l’idéalisme.
Au final, on est sonné, estomaqué, lessivé, lavé ! On a beau critiquer nos politiciens, les trouver véreux, se plaindre du système qui est mal foutu, mais ce n'est rien comparé au communisme de
Staline. Rien au regard de ce qu'un système politique peut faire à ses compatriotes. Rien à côté de cet illogisme qu'était la pensée de ces hommes qui en ont déshumanisés
d'autre.
[...] Il a été condamné pour trahison et envoyé dans un goulag en Sibérie. D’après les autorités russes, il ne s’était pas battu avec assez de conviction. Qu’il soit encore en vie était la preuve irréfutable de sa lâcheté. Il est resté onze ans en Sibérie.
Un tout grand roman noir qu'il vaut mieux aborder en toute connaissance de cause. Gardez tout de même un Tchoupi à côté pour lire ensuite.
— Ce qui les rend méprisables, ce n’est pas ce qu’ils font, c’est leur façon de faire, leur répugnant échafaudage de mots et de concepts absurdes, qui justifie et nettoie leur conscience. Voilà pourquoi derrière leur bureau et leurs rapports, ils peuvent devenir des tueurs.
Challenge "Thrillers et polars" de Canel (2014-2015) et le mois Espagnol de Sharon.
Titre : L'immense obscurité de la mort
Auteur : Massimo Carlotto
Édition : Métailié (2006) / Points (2008)
Résumé :
Il s'est enfui avec le butin, sain et sauf - ça ressemble à miracle. Un miracle cher payé: il laisse derrière lui deux morts innocents et son coéquipier Raffaello, qui écope de la perpétuité.
Quinze ans plus tard, Raffaello formule un recours en grâce et demande le pardon de Silvano, père et mari des victimes.
Ce dernier, fou de douleur, accepte de pardonner pour mieux se venger.
Critique :
Deux hommes, un braquage d'une bijouterie qui tourne mal. Une femme et son enfant abattus comme des bêtes par un des braqueurs qui carburaient à la poudre Blanche.
Un mari et père dévasté par la mort brutale de sa femme Clara et Enrico, son fils de huit ans. Dévasté est encore un faible mot pour un homme qui n'a jamais su se relever.
Roman à deux voix, celle de Rafaello, le braqueur qui a pris perpète car il n'a pas donné le nom de son complice et celle de Silvano, l'homme qui a tout perdu. Notre braqueur étant atteint d'un
cancer incurable, il a demandé à Sylvano d'accepter sa mise en liberté.
Roman 100% ♫ black is black ♪ car il ne reste plus aucun espoir sauf celui de la vengeance, qui, comme vous le savez, se déguste froide.
Donc, si Rafaello - qui n'a rien d'une douceur à la noix de coco - sort de cabane, non seulement Sylvano pourra se venger de lui, mais aussi mettre la main sur le complice, celui qui aurait
flingué ses deux amours.
L'auteur, qui sait ce que c'est la prison et il esquisse le milieu carcéral avec réalisme, sans en faire trop, sans en faire des tonnes. La vérité dans sa nudité toute nue.
Oui, la prison est méritée pour certains, mais elle reste néanmoins inhumaine et n'a rien d'un Club Med comme on pourrait le penser parfois. Les geôliers étant de pires voleurs que ceux qu'ils
surveillent.
Durant tout le récit, jamais il ne se pose comme juge ou comme avocat de la défense. Au lecteur de porter un jugement sur les deux damnés que sont Rafaello et Sylvano et moi, je ne m'y risquerai
plus.
Sans concession aucune pour ses deux personnages clés, l'auteur les tourmente, nous plonge dans leurs pensées les plus obscures, secrètes, leurs désirs les plus fous et, tout d'un coup, nous
renverse la vapeur en nous démontrant que dans tout homme sommeille la bestialité et que de victime, on passe facilement au statut de bourreau.
Si au départ j'avais pensé que l'histoire allait être téléphonée, je suis vite revenue sur mes pas car le roman part dans un sens totalement inattendu, plongeant même au plus profond de la
noirceur humaine.
Un roman court, bref, intense, plus fort qu'un expresso dont la cuillère n'oserait pas descendre, de peur de se perdre dans ce noir 100% rempli de sombritude (néologisme).
Corsé, âpre, avec un récit taillé au scalpel, une plume acide et une autopsie de l'humain sans concession aucune.
Un récit de rédemption et de folie dans une vengeance qui fait froid dans le dos. Les personnages qui gravitent dans ce petit univers ne sont ni tout noir, ni tout blanc, ni tout à fait bon, ni
tout à fait méchant. Ils sont gris.
Ici, en plus d'un récit noir, on a plein de nuances de gris et croyez-moi, il y en a plus que 50...
Challenge "Thrillers et polars"
de Sharon (2015-2016) et le "Mois
Italien" chez Eimelle.